Bilan Chiconi
Septembre 2020
Pour mettre la loi à l’épreuve de différents contextes au travers des projets d’architecture et d’urbanisme, la Preuve par 7 s’attache à expérimenter à partir de la question des échelles. Celle de l’outre-mer, au(x) contexte(s) si différent(s), mais où les lois et les normes sont les mêmes qu’en métropole, s’est révélée très riche au regard des questions et actions portées par la démarche. Comment construire sous d’autres latitudes en se référant au même code de la construction ?
Comment se référer aux textes de loi quand les dynamiques et les traditions locales les dépassent en utilité et en bon sens ? Est-ce que les dérogations à l’œuvre dans les outre-mer pourraient enrichir les dispositifs juridiques en métropole ?
Comment travailler sur l’aménagement quotidien dans un contexte d’urgence – en termes d’assainissement, de conditions d’habitat – et imaginer un projet optimiste et positif à partir d’une démarche culturelle ?
Chiconi est une commune de 8 000 habitants située sur l’île de Mayotte. Malgré sa situation géographique excentrée des principaux pôles urbains, elle porte en elle une richesse culturelle et artistique qui ne demande qu’à s’épanouir davantage.
Cependant, le manque d’un « lieu » propice à cet épanouissement se fait sentir. Pour remédier à ce constat, la Ville de Chiconi, accompagnée de l’association Milatsika Émergence, de la Direction des Affaires culturelles de Mayotte (DAC) et de la Preuve par 7, s’est engagée vers une démarche de programmation ouverte, vouée à définir progressivement les besoins et les caractéristiques de ce futur pôle culturel de Chiconi. L’engagement volontaire de la commune, de ses élus et de ses services dans la démarche passe avant tout par leur confiance et la liberté données à l’action des acteurs locaux et de la Preuve par 7. La rencontre avec divers membres du collectif des Arts confondus, les échanges avec les permanentes du projet de lycée de Longoni, ont montré que Mayotte est déjà un terrain particulièrement fertile en démarches itératives et expérimentales.
Depuis l’ouverture de la permanence dans la MJC de Chiconi en octobre 2019, le partage, l’apprentissage et la transmission sont les points d’entrée thématiques des événements qui y prennent place. Cette permanence devient pour les Mahorais.e.s un lieu d’expérimentations : relever des usages, faire émerger des besoins d’ateliers, faire chantier, mettre à disposition des espaces voués à l’épanouissement musical, etc. Ces actions constituent un point de départ pour diffuser la démarche et faire émerger des programmes impensés. La permanence, tenue par Albadawy Mattoir, accompagne ces actions et révèle ainsi les besoins des usagers du lieu.
L’ensemble des acteurs impliqués dans la permanence — la Ville, Milatsika Emergences, les artistes et les associations, la jeunesse de Chiconi — ont pour but de créer “ Le lieu ”, telle une oeuvre qui leur corresponde, avec un concepteur qui prendrait en compte les spécificités d’un territoire qui s’est construit selon d’autres normes. Davantage qu’un chantier classique d’équipement culturel, il s’agira de construire un parcours, un récit commun, une économie humaine du projet, de la conception à la réalisation.
L’idée est de faire de ce lieu un espace dédié à des usages divers, à la fois culturels et cultuels, dans le respect des spécificités de chaque pratique. Un lieu propice à former des acteurs de la filière musicale aux techniques d’organisation de concerts et à accueillir des répétitions et des démonstrations de chants et de danses rituelles séculaires. Un lieu muni d’un équipement culturel rayonnant sur le territoire pour fédérer diverses démarches culturelles et artistiques. Un lieu faisant signe dans le quartier, mettant en lumière les dynamiques locales.
Le projet du Lieu tire également sa spécificité de son contexte urbain : il est situé dans le haut du village de Chiconi, attenant à plusieurs pôles tels que la Mairie, le bureau de poste, le plateau sportif et le supermarché, mais il figure également au sein d’un îlot résidentiel construit en dehors des cadres réglementaires classiques et confronté à divers enjeux de risques naturels (ruissellements). Ainsi, les questions soulevées par le Lieu en tant qu’équipement culturel pourront bientôt s’élargir à l’échelle de l’îlot pour interroger ses normes de production et de viabilisation du tissu résidentiel pérenne construit en dehors des normes habituelles.
La permanence de Chiconi est un projet qui « fait école », puisqu’elle manifeste l’engagement de ces acteurs à dessiner une dynamique de programmation collective et révèle, à travers sa mise en oeuvre, un laboratoire d’innovation publique adapté au contexte mahorais et capable d’essaimer de manière plus large.
Diverses institutions ont en effet montré des marques d’intérêt vis-à-vis de la méthode employée : la DEAL concernant le mode d’intervention en tissu urbain constitué, l’AFD locale sur les modalités d’engagement progressif d’un budget d’investissement qui mélange prestations intellectuelles et intervention sur le terrain, ou encore le rectorat de Mayotte, conscient des enjeux éducatifs et pédagogiques de ce projet culturel pris au sens large.
En interrogeant l’idée d’une architecture populaire de Mayotte, en soulignant l’importance d’un dialogue interculturel respectueux, en partant lentement des pratiques existantes pour définir les besoins des usagers, cette mission interroge les principes de l’action publique à Mayotte.
Consulter l’intégralité du bilan de Chiconi au format PDF : Bilan CHICONI !