« Entre cas d’étude et cas d’école, hypothèses pour une ville des transitions », participation de la Preuve par 7 aux rencontres organisées par Zerm au couvent des Clarisses à Roubaix
Le 24 mars dernier, le collectif Zerm a organisé des rencontres professionnelles au couvent des Clarisses à Roubaix afin de marquer un point d’étape dans l’expérience Saisons Zéro, après 3 ans d’occupation du lieu. Il s’agissait d’alimenter la réflexion autour des pratiques d’urbanisme transitoire à travers une analyse détaillée du projet sous différents angles : économique, urbanistique, patrimonial, énergétique, social, culturel, etc. et d’ouvrir des fronts critiques sur l’outil que peut représenter l’urbanisme de transition pour la ville de demain.
En 2008, le couvent néogothique des sœurs Clarisse à Roubaix, inscrit au titre des monuments historiques, est quitté par les dernières moniales qui y vivaient recluses. Localisé au cœur du quartier prioritaire de la politique de la ville de l’Épeule, il est ensuite racheté par la commune qui, après plusieurs projets avortés, souhaite le transformer en un lieu dédié au zéro déchet et à l’économie circulaire. Elle lance un appel à projet en 2019 pour l’occupation temporaire du site, remporté par l’association Yes We Camp, l’historien Gilles Maury, la société de diagnostic en sécurité incendie I.C.A.R et l’association Zerm. Zerm est une jeune association d’architecture roubaisienne travaillant à la réhabilitation de lieux et au réemploi de matériaux. Installée au couvent des Clarisses, elle y développe le projet Saisons Zéro. L’équipe dispose de quatre ans pour le réactiver. En 2021, la Ville de Roubaix missionne l’équipe pour conduire une étude de faisabilité en actes, expérimentée et théorisée au sein du projet de l’Hôtel Pasteur à Rennes. C’est par une occupation progressive des lieux et un travail fin avec les services de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) des Hauts-de-France que le collectif d’architectes a commencé à y réaliser de menus travaux alors que le programme du bâtiment n’est pas encore arrêté.
Ces temps d’échanges, d’inspiration et de réflexion collective en immersion partant du cas d’étude du projet, visaient à faire se rencontrer et dialoguer professionnelLEs de l’urbanisme transitoire, institutions (éluEs, technicienNEs des collectivités territoriales ou des services déconcentrés de l’État), universitaires, responsables associatifs et associatives,… RéuniEs par Zerm, ces rencontres ont été co-organisées par différentes structures qui plaident et agissent en faveur d’une fabrique de la ville plus durable, sociale et ancrée sur les territoires : Ancoats, Communa, Encore Heureux, Plateau Urbain, Yes we camp et la Preuve par 7. L’objectif est d’ensemble, continuer à faciliter l’émergence d’un urbanisme expérimental et vivrier.
Lors de cette journée, la Preuve par 7 a co-organisé et animé deux ateliers de travail aux côtés du collectif Zerm, le premier sur la réversibilité du patrimoine, le second, avec Encore Heureux également, sur l’outil de l’étude de faisabilité en actes.
Le premier atelier a porté sur les méthodes de travail pour réhabiliter progressivement des bâtiments patrimoniaux. Nous nous sommes intéresséEs à la démarche de remise en usage mise en œuvre au couvent des Clarisses et au sein de l’ancien collège jésuite de Billom – tous deux bâtiments inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Sans programme défini, les bâtiments sont occupés et mis à l’épreuve, avec l’idée de laisser advenir le projet et se dessiner le programme.
Comment révéler l’apport de la mise en usage pour « déjouer » le temps long des processus classiques de restauration patrimoniale ? Comment élaborer un cadre de travail commun avec les services déconcentrés des monuments historiques pour restaurer petit à petit par son occupation et sa remise en usage ce monument inscrit ?
L’occupation progressive des lieux par le collectif a permis d’alimenter finement le diagnostic, de signaler à la maîtrise d’ouvrage les problématiques identifiées et de les traiter rapidement. Les échanges ont aussi porté sur le« mandat patrimoine » co-construit par les équipes de la DRAC des Hauts-de-France et le collectif Zerm, expérimenté à Roubaix. Animés par le même objectif de réhabiliter ce patrimoine, ces dernierEs ont défini un cadre d’intervention qui permet aux architectes occupantEs d’entamer à petits pas la rénovation du bâtiment par des interventions indispensables au projet présent comme futur. Une alternative administrative qui permet de « tester tout ce qui est permis sans permis ». Ce mandat patrimoine a permis d’aller plus loin, de permettre la réalisation d’aménagements intérieurs dépassant la stricte réparation. « Il n’y a pas de frontière imperméable entre le transitoire et le pérenne, tout est transitoire mais on fixe ensemble des jalons pour la suite », Zerm. Ces interventions nécessaires relevant presque du bon sens apparaissent comme ponctuelles, comme des petits bouts de projet mais elles sont véritablement utiles et n’obèrent en rien le futur des lieux, bien au contraire.
Le second atelier mené avec Encore Heureux et Zerm portait sur la programmation ouverte, de l’étude de faisabilité à l’intervention de l’architecte en maîtrise d’œuvre. Au fil de l’occupation du couvent des Clarisses, architectes, éluEs, services de la Ville et déconcentrés de l’État (DRAC) ont grâce à la permanence et à l’étude de faisabilité en actes, choisi de faire œuvre de programmation ouverte, affiné les contours d’une politique publique d’urbanisme innovante et esquissé ceux d’une régie municipale pour la mettre en œuvre. Avancée ou pari, la Ville de Roubaix investit dans ce lieu qui n’a pas encore de programmation/destination précise ni d’exploitation certaine. La permanence et l’étude de faisabilité en actes peuvent permettre d’écrire petit à petit la commande, d’accompagner la maîtrise d’ouvrage dans la définition progressive du programme de la future maison du zéro déchet et de l’économie circulaire.
Est-ce que l’on pourrait mener, quand cela s’avère pertinent, des études préalables et de faisabilités en actes pour les projets d’équipement, d’habitat, urbains voire même de territoire ? Une fois l’étude menée depuis le terrain, comment poursuivre dans cette dynamique pour écrire le programme, et passer les appels d’offres de maîtrise d’œuvre ?
En résumé, l’enjeu est de conserver et transmettre les apports et les enseignements de cette période de mise à l’épreuve des besoins et des usages par une occupation pour nourrir le programme futur du lieu. L’étude de faisabilité, l’occupation, ce sont les prémices et les fondements du projet, exactement comme le sont les études lors préalables et de faisabilité habituelles. La construction d’une gouvernance tout le long de ce cheminement semble constituer une condition essentielle pour ne pas effacer ce qui a été expérimenté. C’est ainsi que Louis-Marie Belliard de la SPL Territoires a témoigné de son expérience de l’Hôtel Pasteur à Rennes où le récit programmatique, l’histoire de l’usage des lieux pendant une occupation expérimentale de quatre années, de chaque pièce au cours de cette expérimentation, a constitué une ressource, la base du « cahier des charges », celui de l’aménageur comme celui de la maîtrise d’œuvre. Ainsi la Ville, dans son rôle de maître d’ouvrage a accordé une véritable confiance à la société civile et à son mandataire la SPL Territoires, et a choisi d’agir avec un certain « lâcher prise ». Qui a également concerné le travail demandé aux architectes d’Encore Heureux : s’approprier le travail préalable de préfiguration, dans la réhabilitation des lieux, pour intervenir a minima, et se dessaisir d’une partie des chantiers, alors réalisés avec la société civile.
A Roubaix, cette étude de faisabilités en actes et le mandat patrimoine comme dispositif d’échanges donnent à voir un projet d’architecture qui devient un projet de territoire, et qui contribue à l’émergence d’une commande publique issue de ce territoire, une commande collective. La permanence architecturale, c’est à dire travailler sur le site même du projet et le mettre à l’épreuve, permet de prendre le temps : ne pas dessiner quelque chose à l’avance mais plutôt laisser venir l’imprévu, l’impensé en étant sur le site même. Ce rapport renouvelé au projet replace l’architecte sur le terrain, bien avant d’avoir posé la première brique, et tout le long du projet. Aujourd’hui tout l’enjeu réside dans le passage opérationnel de ces expérimentations, et leur transmission : à d’autres projets sur le même territoire, chez d’autres collectivités locales, aménageurs, acteurs et actrices des politiques publiques. C’est bien un défi que d’assurer ces liens et imaginer une architecture et un urbanisme qui réunissent, au plus juste des actions.